Je t'écris ce mot aujourd'hui parce qu'aujourd'hui tu es encore vivant. Demain, plus tard, dans quelques heures ce ne sera plus le cas mais aujourd'hui tu l'es. Du coup, j'écris comme si tu allais me lire et ça me fait du bien. Depuis mercredi soir, je scanne des photos de toi et surtout je pense encore plus à toi que d'habitude. Les souvenirs se bousculent dans ma tête, sans chronologie, sans lien les uns avec les autres, ils viennent. Ils sont presque tous gais sauf le souvenir de notre dernière rencontre, il y a 10 jours. J'ai compris ce jour-là que c'était la dernière fois qu'on se voyait. Tu as fait des efforts surhumain pour faire bonne figure mais tu le savais aussi. je ne m'apesentirai pas sur cette rencontre. Tu étais si faible, si fragile.J'ai plutôt envie de relater nos bons souvenirs. je vais commencer en râlant concernant le surnom que tu m'as toujours donné. Franchement, ça fait pas glamour de se faire appeler "la merdeuse" mais, venant de toi, j'ai toujours su que c'était affectueux. Encore moins quand on a passé les 52 ans. Rassure-toi, je ne laisserai personne utiliser ce surnom à part toi. Mon deuxième râlage c'est quand même que, à cause de toi, je suis devenue "tata"' à 12 ans. Je m'en souviens très bien. J'ai pas tout compris sur le coup. ça c'est passé comme ça. Mariage, fiesta, haie d'honneur de footeux, photo, beaux habits, danse, gros repas, quelques mois plus tard, une belle-soeur qui grossit beaucoup et paf, une beau jour de juillet, je reçois un télégramme chez la grand-mère pendant mes vacances qui me dit que je suis tata. je te pardonne parce que tes fils sont cools (leur petit frère aussi. d'autant que lui a attendu que j'ai l'âge d'être tata pour naître). Je continue dans les plaintes parce que je ne peux pas passer sous silence les mauvais traitements dont j'ai été victime quand j'étais enfant. Quand j'avais deux ans, toi et tes aînés, m'avez appris à reconnaître les disques (45 tours) juste à leur pochette. Je ne savais pas ;lire donc je devais mémoriser les images. Me preniez-vous pour un petit génie ou un singe savant ? je crois que, en fait, vous aviez trop la flemme de vous lever pour aller chercher les disques que vous vouliez entendre et que la petite soeur était une belle aubaine. Les ados sont fatigués par nature c'est bien connu. Je te (vous) remercie pour ça parce que votre fainéantise associée à votre goût pour la musique yéyé m'a permis de développer des goûts musicaux plus exotiques que les votres mais pas si éloignés que ça au fond (Johnny, Eddy et Cloclo ne faisaient-ils pas beaucoup de reprise de black music et de pop anglosaxonne ?). Merci donc pour avoir fait mon éveil musical de façon aussi sportive ! Mon premier souvenir lié à votre adolescence c'est aussi une bagarre mémorable entre Sylvie et toi (je ne sais pas pour quel motif). Ce que je me souviens c'est que le canapé en skaï noir et coussin en peluche rouge (magnifiques couleurs pour un canapé vintage) y a laissé un bras et vous vous êtes fait pourrir par les parents, tous les deux. J'aimais bien vous regarder jouer au billard sauf que comme j'étais trop petite, je devais me mettre sur la pointe des pieds pour vous voir ce qui m'a valu, une seule fois, de me prendre un coup de billard dans la tête. Vous étiez persuadé de m'avoir tué, et puis non, vous m'aviez juste ouvert l'esprit (lol). Je me souviens de ma première sortie en boîte. c'est toi qui m'y avait emmené. j'avais 14 ou 15 ans. C'était au Panorama. Tu m'avais bien mise en garde :"Tu fais comme tu veux tant que tu ne fais pas de conneries.Si tu danses avec un mec et qu'après, il veut t'emmener à tel ou tel endroit c'est toi qui voit mais ce ne sera pas pour te regarder dans le blanc des yeux". J'ai dansé mais je ne suis pas allé dans les coins sombres. Il y avait aussi un chanteur qui était là pour l'attraction du soir. C'est toi qui est allé lui faire signer un autographe pour moi parce que je n'osais pas. Quand tu m'as ramené à la maison, maman nous attendais de pied ferme en guettant pas la fenêtre. Courageusement, tu m'as laissé me débrouiller toute seule avec elle puisque tu es retourné chez toi. cela dit, je suis sûre qu'elle t'a choppé une autre fois pour te sonner les cloches surtout que je t'ai tout mis sur le dos :"c'est lui qui voulait pas rentrer ! c'est pas moi !". l'été suivant je suis allé garder tes fils chez toi à Toulon. C'était cool jusqu'à ce que le jeune voisin commence à me draguer en utilisant tes fils comme intermédiaires. Tu as géré de main de maître. les autres souvenirs se bousculent dans ma tête. On dirait qu'ils veulent tous avoir leur place dans ce récit. Les quelques jours de vacances qu'on ne manquait pas de passer chez toi en été, les anniversaires, les naissances des enfants et petits-enfants, les grandes réunions de famille si rares mais si précieuses. Les délires d'après barbecue où on rêvait d'acheter une ferme en creuse avec des chèvres et d'aller vendre notre fromage sur les marchés : "C'est Cosette qui vendra le fromage parce qu'elle est tellement mignonne que personne ne pourra jamais rien lui refuser".Mais qui était cette mystérieuse Cosette ? bah c'est le surnom que tu as toujours donné à Angélique parce qu'elle causait beaucoup. Ah, oui, n'oublions pas ton humour à deux balles (ou devrais-je dire à 30 centimes d'euros ?). Alors je cite en vrac les rasquettes, les menouilles, les ouilleouilleouilles et ton best-seller "Qu'est-ce qui tombe en hiver qui est blanc et qui finit par ON ?....... de la neige,con !". Il y a eu la maladie de maman, celle de papa et son décès. Nos échanges le concernant qui nous ont prouvé qu'on avait la même vision de notre famille, tous les deux. les photos que je t'envoyais pour te montrer que je pensais à toi. les nouvelles que je prenais tous les jours auprès de Sylvie pour éviter de te dérange et de te faire répéter 26 fois la même chose. Il y a eu la fois du barbecue avec les vipères. Longue histoire où notre angoisse (et peut-être même notre vie) a été sauvée par un héros parmi les plus purs. Pour la résumer, je dirai rapidement que deux vipères s'étaient installé dans le barbecue en pierre de ta maison pendant l'hiver et qu'on les a réveillées en faisant notre premier barbecue de l'année. Nous étions mort de trouille tous les deux, et étions pétrifiés devant le barbecue et les monstres après avoir mis les enfants à l'abri dans la maison. C'est Georges qui les a tuées et les a jetées loin dans la poubelle. le lendemain, tu détruisais le barbecue fautif. Je me souviens aussi que tu as joué les grands frères protecteurs quand je me suis marié en menaçant mon mari (ex maintenant) de lui casser la figure s'il me faisait du mal un jour. je me rappelle aussi parfaitement notre dernière fête ensemble.C'était à Dardilly pour l'anniversaire de la libération. On a participé à tout et on regardait admiratifs notre grande soeur. Tu m'as même dit : "elle est encore plus connue que le président de la république. Tout le monde la salue et l'embrasse." On était très fiers tous les deux. je me souviens aussi notre amour commun et incalculable pour maman. Je te promets de m'occuper d'elle maintenant. Je ne serai pas toute seule pour le faire et heureusement parce que tu est son chouchou (même si elle ne veut pas l'avouer). Pour finir, je te dirai ce que j'ai dit à papa (en le modifiant à peine) il y a 13 ans. "N'ai pas peur ! Albert t'attends de l'autre côté ! Il y aura aussi papa et tous nos grands-parents pour t'accueillir !" Je t'aime et je t'aimerai toujours. Tu restera toujours vivant dans mon coeur. La meilleure preuve c'est que je viens de taper cet article une deuxième fois parce que la première mouture s'était totalement effacée. Et tu sais quoi ?
ça m'a redonné le sourire de penser à toi de façon positive.
rachidanounou, Posté le samedi 19 août 2017 02:22
Trop émouvant qui me donne envie de pleurer mais que de l'amour dans cette lettre ,,,, super cet amour entre frères et soeurs !!!! courage il sera toujours dans vos pensées ,,, bonne journée amicalement bise ,!!!!